17
Mars 1915
Julien,
mon cher amour.
Où
es-tu Julien? Depuis que tu es parti j'ai du mal à dormir. Je ne
sais plus ce que je veux, je n'ai envie de rien... Si, envie que tu
reviennes et que tu me dises "ça y est, cette fois c'est fini!
Nous allons rester ensemble pour toujours toi et moi!". Envie
que tu me prennes entre tes bras et que dans le silence de l'aube
d'une vie nouvelle, tu essuies mes larmes, cette source intarissable
de désespoir et de chagrin.Je n'en peux plus Julien... Je n'en peux
plus...
Certes
je ne suis pas à plaindre car toi tu souffres n'est-ce pas? As-tu
froid? As-tu de bons camarades auprès de toi? Tes supérieurs
sont-ils accommodants ou bien sévères? Je m'inquiète pour toi mon
amour. Ici l'on attend des nouvelles chaque jour, mais l'on
n'apprend pas grand chose. Parfois nous voyons les gendarmes se
rendre chez Untel ou Untel. Ils frappent à la porte, une silhouette
ouvre, les gendarmes entrent après avoir salué puis, au bout de
quelques minutes on les voit ressortir, tête basse... Et l'on devine
des larmes, des cris, des appels inutiles. De la tristesse, de
l'incompréhension... Alors on détourne le regard, on baisse la tête
et l'on prie... Oui, Julien, moi aussi je prie pour que tu reviennes
et que cette maudite guerre se termine au plus vite. Mais plus
personne n'ose croire que cela va se terminer rapidement. L'espoir
fou des premiers jours s'est envolé et toi, gardes-tu encore
l'espoir? Penses-tu encore à moi, ta pauvre Emilie qui traîne ses
dix-sept ans comme une malheureuse? Je suis si vieille dans ma tête!
Si désespérée dans mon coeur et dans mon âme...
Ton
remplaçant est bien gentil. C'est un vieux bonhomme qu'ils ont été
obligés de prendre car vois-tu ici, au pays, tous les jeunes gens
sont partis, mais ça, tu le sais, n'est-ce pas? Le matin, lorsqu'il
passe devant la maison, il s'arrête un instant, me sourit et me dit
qu'aujourd'hui il n'y a pas de lettre, mais que demain peut-être,
que demain sans doute... Mais c'est ainsi tous les jours... Alors je
cours à la grange ou à l'étable et je me cache pour pleurer... Mon
Julien, mon amour, je t'en prie, je t'en supplie, reviens-moi...
).
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