L’invité: Rencontre avec Raymond, passeur de
mots... et d'émotions.
Raymond Charretier réside à Duerne depuis 1989.
L’écriture fait partie de sa vie. Les mots, il les couche
sur le papier, les récite, les clame, les joue, et les a
parfois chantés.
Mangeur de mots
Raymond Charretier, est le fruit de l’amour d’un Chazellois et
d’une Montluçonnaise. Ses parents se sont installés à Saint
Etienne. Raymond est donc né dans cette ville ouvrière, aux
teintes grisâtres, mais «qui a une âme», me précise mon invité.
Enfant, pour s’évader, il lisait, lisait, beaucoup ! La lecture lui
permettait aussi d’accéder à un monde fermé à un modeste
fils d’ouvrier. Poussé par sa «faim de mots», il dévorait plusieurs
livres par jours. Tous ces mots «avalés» avec passion,
ont donné, après quelques années de digestion, dès l’âge de 11
ans, des poèmes, des nouvelles. Son premier poème parlait du
printemps.
Posteur de mots
Les années ont passé. Raymond Charretier a commencé sa
carrière professionnelle en tant que porteur de télégrammes,
puis facteur. Les mots il les portait, les postait, tout en
continuant son travail d’écriture.
Passeur de mots
En 1979, Raymond se lie d’amitié avec un compositeur interprète,
qui met ses mots en musique et les chante. Puis
Raymond chante aussi ses créations sur scène, mais l’expérience
n’étant pas très concluante, il revient aux spectacles de
poésies lues sur musique. La scène est une belle expérience, un
exercice où Raymond peut partager ses mots et ses émotions
avec le public. En 1991, à 30 ans, il publie son premier livre
«Les Grandes Chaumes». Puis en 2013 un livre de nouvelles
«Café noir». Raymond Charretier est un touche à tout de
l’écriture : poésie, chanson, roman, nouvelles, théâtre. Il est
l’auteur de 101 pièces et monologue de théâtre, dont 57 jouées
ainsi que 17 monologues. Sa pièce pour enfants «Pension
complète au Paradis» a été jouée en Belgique et en Suisse.
Une autre pièce, «Frontière», a largement dépassé nos frontières,
puisque elle a été jouée au 6ème Festival International de
théâtre, qui s’est déroulé du 29 octobre au 5 novembre 2014,
à Béjaia (Algérie). Trente compagnies théâtrales venant de 19
pays ont participé à cet événement. BAK’INGADO, compagnie
Africaine, a connu cette création de Raymond Charretier sur le
site Internet «le Proscenium» (bibliothèque en ligne de textes à
jouer francophones). BAK’INGADO a mis en scène et joué cette
pièce lors du festival (mise en scène Amyne Kano). Kamagaté Moctar, comédien de cette
compagnie, a été nominé «Meilleur comédien» pour la catégorie
«Prix Afrique du théâtre Francophone». Actuellement, cette
même compagnie prépare à Abidjan «Container», une autre
création de Raymond Charretier.
L’écriture plurielle
Raymond aime partager sa passion, travailler parfois à 4 mains,
ou à bien plus ! Depuis environ 6 ans, il joue ses textes en duo
dans la compagnie «Esperluette», avec François Gaynon, et
parfois son épouse. Son fils Anthony, l’accompagne depuis
mars 2014 lors de lecture de textes. Anthony, musicien, compositeur,
et animateur nature, improvise sur les textes de son
père. L’alchimie opère entre le père et le fils, au gré des lectures
poétiques. Depuis le mois de novembre 2014, plus de 8 lectures
musicales se sont déroulées, pour un total d’environ 300 spectateurs.
Acteur et metteur en scène, amateur ?
Les mots prennent corps quand Raymond est acteur. Ses mots,
ou celui des autres. Jouer avec une troupe sur une scène, ou
dans un court métrage, comme «Le voyageur immobile» de
Morgane Rubis, qui est en cours de montage. Il incarnait le
personnage du «conseiller du roi». Cette nouvelle expérience a
été très enrichissante. La scène, c’est le plaisir d’incarner des
personnages, de les sentir vivre en soi. D’essayer de les comprendre.
«Pour jouer un personnage, il faut l’aimer», m’explique
mon invité. Des pièces de théâtre, il en a vu plus de 300. Il a
analysé le mécanisme des pièces. Son expérience technique l’a
mené à mettre en scène «12 hommes en colère» joué par une
troupe d’Aveize. Bien loin du théâtre «amateur».
Raymond Charretier Compagnie l’Esperluette : Raymond Charretier et François Gaynon
le mag (local) n°10 Janvier 2015 .
L’écriture tournée vers l’Humain
Raymond Charretier écrit à l’instinct, sans plan de travail. Il
s’installe devant son ordinateur, accompagné par son fidèle
chat Kozak, son assistant, son ami. Kozak l’apaise, tout en
surveillant de ses yeux de chat cette curieuse souris numérique
que son maître manipule (ou plutôt ami, car un félin ne tolère
pas la servitude ) . Sait-on jamais, si cette bête attachée tenterait
de s’évader... «J’aime découvrir mes personnages au fur et à
mesure que je rédige mon histoire. Je m’efforce de leur donner,
non pas un sens moral, mais plutôt à les rendre abordables, à ne
pas les juger trop vite, à essayer de les comprendre. Certains me
servent de refuge, de double, d’exutoire, j’ai besoin d’eux pour
exister. Grâce à eux je peux, parfois, relativiser certains de mes
défauts. Je ne suis pas un moraliste. J’essaie de comprendre qui
je suis, qui nous sommes et pourquoi nous le sommes. Jamais,
je le suppose, je n’aurai la réponse. Alors, tant qu’il en sera ainsi,
j’écrirai.»
L’écriture peut-être humoristique, sarccartisque, légère, ou plus
sombre, selon les rencontres ou l’humeur. «Plus les années
passent, et plus je peaufine mon écriture. J’écris des textes
tournés vers l’Humain. Je vais à la rencontre des autres, et de
moi-même.».
Un «tourisme citoyen» actif
Sa carrière à la Poste s’est achevée. Mon invité aime dire qu’il
est en «tourisme citoyen». Terme bien plus élégant et poétique
que «retraité». Raymond partage son temps entre la lecture,
le théâtre, la poésie. Il aime voyager, la musique et les danses
Folk, sa femme, ses enfants et leurs copines, voyager, son chat
Kozak, et quand il a le temps... ne rien faire ! Plusieurs projets
sont en cours dont son rôle de Dorante, dans «Le Bourgeois
gentilhomme». Un rôle de méchant, qui change des rôles habituels.
Il est aussi en train d’écrire une nouvelle pièce, mais
je ne peux pas en dire plus. J’ai promis de ne rien divulguer.
Je suis certaine que de ses états d’âmes et vagabondages de
l’esprit va naître un beau texte, humain, qui sera joué avec brio.
Pour terminer cet entretien, je laisse la parole à Raymond, en lui
demandant, s’il a accompli son rêve. «Ma plus belle réussite finalement,
c’est d’avoir voulu me sortir de l’inculture à laquelle mes
«chers» professeurs me destinaient... Et, sans forfanterie aucune,
je pense y être arrivé...».
Je remercie Raymond Charretier pour cet entretien très
intéressant. Valérie Hernandez
Lecture de textes «Café noir». Photo : Andrea Photography
Anthony Charretier : improvisation musicale. Photo : Andrea Photography
Rôle du conseiller du roi. Court métrage «Le voyageur immobile»
Page suivante : extraits de 3 créations >>>
Ses actualités. Quelques dates en 2015 :
- 13 mars : Chazelles sur Lyon avec la troupe Faut que ça
scène!
- 20 mars : lecture à St-Andeol-le-Château
- 10 avril : 2 lectures à Boën sur Lignon
- 23 mai : festival Chazel’en scène
- Du 11 au 14 juin : le bourgeois gentilhomme» en son et
lumière à Taluyers (rôle de Dorante).
- 14 juin (après-midi) : festival ANCA Théâtre à Marols (42)
http://raymondcharretier.blogspot.fr
http://esperluette.org/p/compagnie
http://www.leproscenium.com
http://anthony-charretier.blogspot.fr
6 . le mag (local) n°10 Janvier 2015
Raymond Charretier : extraits de trois créations
« Café noir ». Extrait « Le vieux »
Nouvelles en noir et blanc
Pour dire, comme ça, entre nous, je regarde pas souvent la télé,
ça me saoule, mais j’aime bien Thalassa. J’aime bien les courses
de bateaux, surtout la route du rhum, mais t’as vu, c’t’année, y
z’ont doublé avec la route des roms, en caravanes. Avec départ
en Roumanie. Paraît que c’est sponsorisé par le gouvernement.
Pour une fois qu’on sait où passent nos impôts… Y’a un truc
que j’arrive pas à analyser correctement quand même. Les gens
y z’ont peur des manouches et des romanichels de crainte que
ça vienne leur voler des poules eh ben tu vois, n’empêche, une
fois, au village, y z’ont fait venir de la musique que ça s’appelle
du jase manouche, tu me croiras pas si tu veux, mais ça fait
quand même que la salle des fêtes elle était fran pleine… Après,
je le sais, y en a qui me l’ont dit, y z’ont compté leurs poules,
il en manquait pas une… Tu comprends, z’avaient comme qui
diraient peur que la musique ça fasse comme une diversion
pour que d’autres s’en viennent estourbir la volaille.
«Parallèles». Extrait.
Nouvelle inédite inspirée d’un fait réel.
Suivre les rails. Parallèles froides, étranges dans mon univers
dérisoire et auquel personne ne semble vouloir faire attention.
Parfois quelqu’un me bouscule, m’apostrophe et me dit de
faire gaffe, que c’est pas possible d’être aussi bête. J’ai traversé
la mer, dormi au coin d’une encoignure de porte, tangué à en
rendre tripes et boyaux, j’ai survécu.
Je dis: «Donnez moi du travail, s’il vous plait...».
«Tu as des papiers?» . Des papiers? Quels papiers? Il faut donc
des papiers pour porter des sacs de ciment? Des planches? Des
papiers pour rouler une brouette de sable? Alors on me pousse.
On me repousse. Va ! Va demander des papiers et après ma
foi, on verra. Mais je ne suis rien, qu’une ombre qui déambule
le long de ces rails de tram. Je marche, perpétuellement je
marche. Et je ne peux m’arrêter. C’est ainsi. Je respire puisqu’il
faut respirer pour vivre, mais surtout il me faut aller d’un point
à un autre, revenir, repartir jusqu’à ce que j’ai fait trois allers retours,
c’est comme ça, personne n’y peut rien. Qu’il pleuve,
qu’il neige ou qu’il fasse un soleil de plomb, rien n’y change,
c’est immuable. Toute ma vie est là, le long de ces parallèles
luisantes de ferraille, de bruits, d’inconnu. Mon pays se trouve
peut-être au bout de ces rails, qui sait? J’ai mal au ventre, ma
vue baisse, je ne voudrais pas devenir aveugle, mais peut-être
que je ne veux plus voir la férocité du monde, peut-être que je
ne veux plus voir les images sanglantes de mon passé, peut-être
que je ne veux plus voir mon visage dans un reflet quelconque
car ce visage est l’unique témoin de ma jeunesse, l’unique
témoin de l’atrocité des hommes... Je devine des ombres de
fantômes dans les trams qui roulent sur mes rails. Je ne sais
pas qui ils sont. J’ignore ce qu’ils veulent, leurs croyances,
leurs rêves et leurs doutes. Ils vivent dans leur univers, je survis
dans le mien. Parfois l’un d’entre eux me regarde, m’adresse un
sourire, un signe de la main. Dois-je lui répondre? Dois-je
l’ignorer? Alors je le regarde et dans mon regard j’inscris toute
la force de mon incompréhension et, chacun de notre côté,
démunis l’un de l’autre, nous suivons nos parallèles
respectives...
Pas d’ici
(Texte intégral)
Je suis pas d’ici
Je suis plus d’ailleurs
Je sais pas d’où j’suis
Pas d’monde meilleur
Sur ma planète
Je baisse la tête
Je traîne savates
d’Rome aux Carpates
Je sais plus pourquoi
Pourquoi j’suis là
Qu’est-ce que c’est qu’ça?
A quoi ça sert?
A quoi je sers?
Je vis dans la boue
Jamais debout
Trois bouts d’carton
Pas d’vraie maison
Y a plus de saisons
Même pas de lumière
sur ma misère
J’ai froid je crève
plus jamais d’rêves
Je parle pas d’demain
Je vois pas l’chemin
Je vais je viens
A qui ça sert?
A qui je sers?
Je suis comme un chien
mais sans caresses
J’tire sur la laisse
Je voudrais qu’on m’laisse
un peu de répit
sur le décrépi
d’mon désespoir
d’mon dépotoir
Je suis pas d’ici
Je suis de nul’part
demain je pars
vers autre part
Un autre espoir
d’autres regards
qui m’regarderont
de leurs yeux ronds
et qui m’diront
casse-toi d’ici
toi qu’es pas d’ici
a quoi ça sert?
À quoi je sers
Je sais plus qui j’suis
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