mercredi 1 octobre 2014

Lecture "Sinon..."

Un membre de votre famille a fait la guerre, où était-il basé ? Mon grand-père paternel a fait
la guerre de 14-18. Il a combattu aux Dardanelles. Les historiens parlent beaucoup de Verdun
et ont tendance à oublier que le conflit s’est étendu au-delà de nos frontières et c’est bien
dommage pour tous ces pauvres bougres qui sont allés défendre la patrie aussi loin de ses
frontières... Appelé du contingent. Mon père s’est engagé en août 1944 ; 151e Régiment
d’Infanterie basé à Metz. Auparavant, il était dans les Chantiers de jeunesse. Ce n’était pas un
héros, mais un homme qui se croyait libre et qui avait sans doute envie de le rester...
Quel poste occupait-il ? Ils étaient tous les deux de simples soldats, peut-être de 1re classe, mais je
ne peux le certifier. Mon grand-père a été décoré pour avoir sauvé sept soldats de la noyade.
C’était un excellent nageur.
Dans quelles conditions vivait-il ? Mon grand-père ne parlait jamais de la guerre, j’ignore comment
il a vécu pendant cette période, mais ce n’était ni dans le luxe ni l’opulence... Il est mort en 1961,
à l’âge de 71 ans, ce qui fait que je l’ai très peu connu et je le regrette profondément, car il reste
une énigme pour moi. Je dirais que c’était un homme triste et fatigué. Mon père parlait parfois des
autres hommes avec lesquels il partageait le quotidien. Il m’a raconté certains souvenirs sanglants
où la violence et la haine semblaient dominer la nature humaine. Comment sortir intact d’un tel
cauchemar ? Je me pose encore la question et, jusqu’à présent, je n’ai pas trouvé la réponse...
Combien de temps est-il resté ? Mon grand-père totalise sept ans d’armée, dont quatre de guerre...
Mon père quinze mois.
A-t-il été blessé ? Mon grand-père a été blessé deux fois : une balle lui a traversé une main et une autre
un genou. Il s’en est bien sorti de ce côté-là... Mon père est resté un « traumatisé » de cette période.
Pas de blessure physique, juste l’impression que tout cela n’avait peut-être pas servit parfois...
Est-ce que l’écriture l’a aidé à vivre la guerre ? Je n’ai jamais rien lu qu’ils aient pu écrire l’un ou
l’autre, par conséquent j’ignore ce qu’ils ont laissé des écrits à ce propos. Je me demande
même s’ils en parlaient entre eux deux...
Qu’a-t-il transmis de cette expérience à ses descendants ? L’expérience laissée dépend surtout de
celui ou de celle qui la reçoit. Pour ma part, j’ai toujours ressenti une certaine amertume, voire
carrément de la défiance vis-à-vis de la hiérarchie qui décide ce qui est bon pour elle. J’ai, enracinée
en moi, une profonde aversion de ceux qui ordonnent en méprisant celui reçoit l’ordre.
Pourquoi avez-vous eu l’envie d’écrire ces nouvelles ? J’ai écrit ces nouvelles pour leur rendre
hommage. Pour leur dire que je les aime et que je les respecte. J’avais également envie
que l’histoire de mon père soit connue par quelques-uns, car anonyme parmi les anonymes,
lui aussi a participé à la libération de notre pays. Je le répète, ce n’était pas un héros, mais
simplement quelqu’un qui croyait en la vie et, probablement, en l’Homme...
Quel message aimeriez-vous transmettre aux jeunes générations ? Soyez attentifs à ce qui vous
entoure. Ne vous laissez pas endoctriner par de belles paroles, de belles promesses. Une vie,
on n’en a qu’une et elle sera ce que chacun et chacune en fera, autant qu’elle soit agréable,
simple, mais heureuse. Notre pays est beau, ne le laissons pas entre les mains de n’importe qui...
Café noir, Nouvelles en noir et blanc par Raymond Charretier aux éditions Edilivre

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